12 mai 2007

Peine

Depuis un peu plus de deux ans maintenant, je travaille.
Avant j'étudiais.
Quand j'étudiais, je fréquentais des gens instruits et intelligents. Des gens curieux, ouverts, avec lesquels il était possible de débattre et d'échanger. Je me souviens que nous n'avions pas tous les mêmes idées, que nous étions en désaccord parfois, mais que nous nous écoutions, toujours, nous savions discuter. Du reste, au fond nous nous entendions sur bon nombre de principes, que nous considérions comme importants, nécessaires, et, sans le savoir, nous faisions partie d'un même circuit fermé. Et nous étions minoritaires.

Depuis que je travaille, je rencontre des vrais gens. Des gens dont les préoccupations quotidiennes sont loin, bien loin de celles que je pouvais avoir avec mes amis étudiants. Des gens qui évoluent dans un tout autre cercle, aux règles différentes. Parmi ces gens, de mon point de vue, il y a sans doute de tout. Des génies, des gens bien, des braves gens, des idiots. Je n'en sais rien. Je n'en sais rien parce que plutôt que de les juger, ces gens, j'ai préféré les comprendre, saisir leurs contextes, leurs modes de pensée, sans me laisser aller à une arbitraire appréciation de la qualité de leurs raisonnements du reste forcément biaisée car dictée par mes propres valeurs, valeurs que j'ai d'ailleurs accepté de questionner, critiquer, remettre en cause. J'ai tâché, depuis que je travaille, de porter sur mes collègues un regard neutre, de ne pas être hermétiques à leurs points de vue, de les écouter. Envers et contre tout.
J'essaie d'être sceptique, mesuré et réfléchi. Parce que pour moi c'est ça, être intelligent.
Ce paragraphe était délicieusement pompeux, j'ai bien aimé.

Actuellement j'ai une collègue qui, pendant la campagne présidentielle, m'avait demandé mon adresse mail pour m'envoyer "Un truc sur Sarkozy, puisque j'ai cru comprendre que t'allais voter pour Royal. Tu verras, ça reprend tout le parcours de Sarkozy, avec ses parents nazis etc, c'est impressionnant". Personnellement je trouvais ça follement stupide de m'envoyer un mail pareil, j'étais déjà contre Sarkozy. Quel était le but? M'apporter de nouvelles informations? Me convaincre un peu plus? Me gaver d'anti-sarkozysme primaire? Mais je pouvais avoir tort, c'était peut être bien de m'envoyer ce mail en fait, de mobiliser le plus de gens possibles, et je voulais bien comprendre l'importance que tout celà pouvait revêtir pour ma collègue.
Voilà, c'était un exemple. Pour vous montrer, un peu. Avec mes collègues de travail, en gros, j'ai des idées mais je ne cherche pas à les mettre au dessus des leurs, que j'essaie par ailleurs de comprendre. Enfin vous voyez quoi, ce genre de conneries.

Cette semaine, lors d'une conversation enlevée, ma collègue m'a fait part de quelques unes de ses opinions sur la vie en général. C'est là que ce post devient malhonnête: je vais vous servir des résumés de bouts de phrases sortis de leur contexte et déformés. Mais vous passerez outre, la chute est bien.

1) "Je ne vois pas pourquoi l'Etat français devrait financer la construction de mosquées sur son territoire: il n'y a pas d'églises au Maghreb. Même chose pour le voile: les musulmans ont réclamé, et dans certaines écoles en France maintenant on oblige les élèves à porter le voile"
2) "Avec les immigrés européens il n'y a jamais de problèmes, parce qu'eux ils sont venus travailler, alors que les arabes viennent juste pour profiter du système"
3) "C'est une question de culture: moi il ne m'est jamais venu à l'idée de brûler des voitures, même quand ça allait pas. Eux [les arabes hein. "Eux" c'est les arabes] au moindre truc ils cassent tout. Regarde il y a deux ans, tout ça pour deux morts. Et d'ailleurs pourquoi ils couraient? ils avaient quelque chose à se reprocher. Et c'est toujours comme ça! Il y a plein d'exemples d'affaires qui se terminent comme ça."
4) "Pareil en Espagne: les familles des victimes du dernier attentat de l'ETA ont reçu trois appartements, parce qu'elles étaient immigrées".
5) "Le catalan, c'est qu'un dialecte" [oui c'est choquant].

Et vous savez ce que je lui ai répondu? Rien.

Il y a quelques mois de ça, à Montréal, je travaillais avec une fille qui portait une bague sur laquelle était inscrite une croix gammée. Cette situation aurait pu donner lieu à ce genre de roman:

"Ce serait l'histoire d'un homme qui soupçonne l'une de ses collègues de travail d'être nazi.
Ce sont deux ou trois indices qui le mettent sur la voie, mais il ne peut avoir aucune certitude. Il ne lui en parle pas, mais se refuse à rire avec elle, par principe. Il n'ose pas en parler non plus avec ses autres collègues, il a peur d'être mal compris, ou tout simplement de se tromper, d'ailleurs au fond ses soupçons ne sont peut être pas fondés, il y a peut être une explication rationnelle à toutes ces choses. Rien d'alarmant. Il lui en parlera.
Il fait un rêve souvent, avec un jeu qui consiste à échapper à des soldats dans une sorte de désert, et quand il gagne les gens se retournent contre lui.
Sa soeur est morte quand il avait 12 ans.
Enfin bref. Un jour sa collègue le choque vraiment, par ses propos, au détour d'une conversation anodine. Et il est fâché. Il reste calme mais il est fâché. Un autre collègue assiste à la scène mais lui non plus ne bronche pas, et tous trois s'en retournent à leurs folles occupations communes. Tout celà finit par prendre de l'importance à ses yeux, car il se sent coincé: il ne veut pas affronter sa collègue parce qu'il ne veut pas semer le trouble dans son entreprise, qu'il aime beaucoup par ailleurs, il y a une bonne ambiance, mais il ne peut plus se résoudre à faire comme si de rien n'était. Il s'interroge et finit par laisser faire, tout en ayant préparé de sérieux reproches à sa collègue au cas où elle récidiverait.
Et au bout de quelques jours elle récidive, au cours d'une pause déjeuner. Cette fois le héros est prêt, sauf qu'il n'avait pas prévu qu'un autre de ses collègues serait lui aussi nazi et contrerait sa défense. D'abord décontenancé il se lance alors dans une conversation où il se sent très mal à l'aise, écoute plus qu'il ne parle, hésite à répondre. Il cherche de l'appui auprès d'autres collègues mais ceux-ci restent indifférents, ça ne les concerne pas.
Un climat tendu s'installe dans l'entreprise. Le héros évite soigneusement ses deux collègues nazis, qui eux ne semblent pas perturbés par la situation. Il en parle à ses amis, choqués eux aussi, mais personne n'a réellement de solutions à lui apporter. Au téléphone, sa mère ne comprend pas bien ce qu'il tente de lui expliquer. Il se résoud à en parler à son supérieur, dans l'espoir d'être transféré vers autre service, mais essuie un refus. Alors il finit par accepter cette situation, vivre avec, et tressaille à peine quand Michel, le gars de la maintenance, qu'il estimait tant par ailleurs, arrive un matin vêtu d'une veste imprimée d'une large croix gammée.
Il comprend mal comment le salut nazi a réussi à s'imposer parmi ses collègues et la nuit revoit sans cesse les images d'un collège juif humilié, battu, qui un beau jour de juin n'est plus jamais revenu. Ce jour là il avait pourtant fermé les yeux.
Un mois plus tard il est renvoyé, et c'est presque un soulagement.
A la fin il frappe un chien errant."

Le bouquin s'appelerait "Pâtisseries".

Et en septembre je reprends mes études.

Pour l'anecdote, en vrai j'ai tout de même essayé de lui répondre à cette collègue (quand par bonheur elle me laissait en placer une). Puis je me suis fermé, j'ai cessé de la regarder, et jai fini par lui concéder que "je comprends ta position mais je ne suis pas du tout d'accord".
J'ai transigé.
J'ai sans doute du trouvé ça intelligent de transiger.
(Mais j'aurais vraiment aimé lui mettre un bon coup de boule à cette grosse conne.)

J'aimerais réfléchir un peu moins, des fois.

3 commentaires:

hianta a dit…

tu vois bien!

KS a dit…

Je vois surtout que ce post est beaucoup trop long.
Et j'adore le morceau de So Many Dynamo's, ce blog a trop bon goût.

hianta a dit…

on s'ennuie la.

Des archives en toile de jute

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